Pierre, 23 ans, étudiant et pigiste

Publié le par Le Torchon Rouge

Pierre*, 23 ans, est en avant dernière année d'école de journalisme dans la région toulousaine. A la demande du Torchon Rouge, il a accepté, sous couvert d'anonymat total, de nous raconter son quotidien, ses joies, ses galères et... ses galères.

 

Motivé et lucide. A 23 ans, Pierre est en avant dernière année d'école de journalisme. Autant dire qu'il souhaite devenir journaliste à moins qu'il ne change d'avis la dernière année. Si c'est le cas, les milliers d'euros investis partent en fumée !

Ce n'est un secret pour personne: faire des études de journalisme a un prix. Pierre n'est donc seul dans l'aventure. Il aurait pu faire équipe avec son banquier, il lui a préféré ses parents. Pour aider leur fils à poursuivre et atteindre « son rêve d'enfant », ils supportent donc le financement de ses études, une année leur coutant la bagatelle de 3.500 euros en moyenne. Une somme qui n'est pas négligeable d'autant qu'ils « ne roulent pas sur l'or ». Un montant conséquent en deçà néanmoins de la réalité : car aux 3.500 euros annuels s'ajoutent l'appartement, les factures, la nourriture.

Est-ce que pour 3.500 euros, l'école brosse à ses jeunes élèves un  tableau idyllique du métier ou cache-t-elle la précarisation dangereuse du métier ? « Nous avons eu un mini-cours sur les pigistes et la loi Cressard », précise-t-il. Qu'est ce qu'un « mini-cours »? C'est un cours d'1h sur les droits des pigistes, intégré dans un module de 15h sur le droit des médias. Top. « Certains profs qui connaissent cette situation, car pigistes eux-mêmes, nous expliquent leur quotidien ». C'est mieux que rien.

Et son avenir comment le voit-il ? Car pour plusieurs milliers d'euros placés comme un investissement, on est en droit d'espérer un poste dans une rédaction, non ? Pierre ne se leurre pas : « je sais que je serai à la pige et non en CDI à la sortie d'école. Alors je multiple les stages longs, je prends des contacts, je tisse mon réseau ».

Lucide et motivé. Pierre n'a pas attendu d'être sur le marché de l'emploi pour s'apercevoir de la difficulté à vivre de ce métier, une difficulté largement entretenue par des directeurs de rédaction peu scrupuleux. Entre ses stages obligatoires, ses cours et ses partiels, il pige pour différents supports locaux. Un travail qui lui rapporte entre 350 à 600 euros par mois sans fiche de paye, ni trace quelconque d'ailleurs. Juste une signature sur un « bordereau des dépenses » en fin de mois. Et pour 4 heures de boulot -reportage et écriture- il perçoit la somme mirobolante de... 45 euros.

« Dans mon malheur, je m'en sors bien, je suis un privilégié », ajoute-il, content de signer ses premiers reportages.

Et pour les vacances scolaires, aura-t-il la chance de remplacer bénévolement un journaliste? « Je guette un remplacement mais si je ne trouve rien, tant pis. Je me reposerai. »

Reportage réalisé pour Le Torchon Rouge par une journaliste pigiste (toujours) désabusée et un reporter-photographe optimiste...

* Pour des raisons aisément compréhensibles, son prénom a été changé


Extraits du Guide du pigiste édité par le snj-CGT

Le pigiste : un journaliste à part entière

En 2008, 6880 journalistes, sur un total de 37301, étaient des pigistes titulaires de la carte d'identité professionnelle, soit 18,40 %.

Mais parmi les 2109 journalistes qui on fait une première demande de carte de presse au cours de cette même année, ils étaient 243 pigistes, soit près de 40 % !

Près d'un journaliste sur cinq donc est pigiste, par obligation, souvent, et non par choix. Et encore, par définition, ces chiffres ne prennent pas en compte tous les pigistes qui, pour une raison ou une autre, n'ont pas obtenu cette fameuse carte, qui s'apparente de plus en plus à un «sésame» professionnel.

La course effrénée à la pige est aujourd'hui le passage obligé pour tout jeune, diplômé ou pas, désirant embrasser la profession. La situation doit cesser : la recherche et le traitement de l'information exigent du temps, souvent beaucoup de temps, de la réflexion et, surtout, de la disponibilité d'esprit.

(...)

Le rêve de nombreux jeunes attirés par la profession est confronté à la réalité. Les futurs professionnels des médias n'ignoraient pas que les emplois salariés étaient rares. Mais bien peu imaginaient que « la liberté de la presse, fleuron d'une société démocratique » dont se flattent les éditeurs était aussi la liberté pour certains d'entre eux d'exploiter une main d'oeuvre abondante et fragilisée.

(...)

Derrière la façade prestigeuse des grands médias se développe un « prolétariat intellectuel » dont le grand public ignore les incroyables conditions de travail et leurs conséquences sur la qualité de l'information.

 

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